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966. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 20e juin.

Que je suis aise, ma fille, que vous jouissiez de la petite abbaye ! le bon abbé en est ravi ; il dit que vous y entendez mieux votre ménage et que vous êtes plus habile que nous : en vérité, je le crois mais on pleure à Bâville de ne vous avoir point. Coulanges m’en écrit les douleurs de M. de Lamoignon ; il me parle du mois de septembre, et de la circonstance de vous y trouver. J’ai renoué cette partie plus que jamais, et je la vois tous les jours approcher avec beaucoup de plaisir, quoi qu’il m’en coûte ; mais puisque c’est une dépense qu’il faut toujours faire malgré soi, il vaut mieux que ce soit en avançant vers quelque chose d’agréable, que de passer les jours tristement sans espérance : voilà où j’en suis. Vous vous amusez fort joliment ; il faut, comme vous voyez, quelque espèce de règle sans aucun vœu ; c’est la règle qui empêche le désespoir de ceux qui sont en communauté et l’ennui de ceux qui n’y sont point : par elle on sait ce qu’on a à faire, et par elle on remplit le temps : le vôtre n’a rien de vide ni de languissant, et je crois qu’avec une si bonne compagnie, vous seriez longtemps à Livry sans vous ennuyer ; c’est pourquoi je ne voudrois point vous en faire sortir pour nos commissions. Je me suis réjouie de voir Corbinelli à Livry avec les Polignacs ; il me semble que cela ne sent point la rupture, et que ce feu s’augmente à force d’être contesté. Nous avons ri de vos réponses courtes et vives aux questions de mon fils : nous ne sommes pas si modestes que vous pensez, nous avons entendu finesse à deux principalement ; mais la modestie nous a empêchés de vous en demander l’ex-