1685 Au reste, Madame, je ne vois guère de généalogies qui ne commencent par une chimère : cela vient de ce que les gens ne trouvant que des sources ou honteuses, ou trop proches à leur gré, en inventent d’illustres ou d’éloignées ; pour moi qui, Dieu merci, n’ai pas eu sujet de mentir par l’une ou par l’autre de ces raisons, j’ai dit les choses comme je les ai sues, et le soin que j’y ai pris ne peut pas laisser un doute que je n’en aie su la vérité ; si elle ne m’étoit pas assez honorable, je n’en aurois pas parlé, plutôt que de me parer d’une fausse gloire.
Enfin, Madame, il me semble que nous devons être contents de notre naissance ; quant aux biens et aux grandes dignités, il nous faut plus de modération : ces avantages de la fortune ne sont pas proportionnés au reste, mais les regrets n’y font rien ; nous pouvions naître simples gentilshommes, avec moins de bien que nous n’en avons. Consolons-nous donc, Madame, de ce que nous sommes au moins de bonne maison ; je le savois confusément, quand j’étois mestre de camp général de la cavalerie[1] ; mais ma disgrâce m’a donné le loisir de m’instruire à fond des particularités de ma naissance, et c’est d’ordinaire aussi dans l’adversité qu’on apprend à se connoître.
Depuis ma lettre écrite, Madame, j’ai fait réflexion que dans la généalogie que je vous adresse, je parle de vous[2] à votre rang, comme je parle des autres ; cela m’a paru d’abord extraordinaire, et il m’a semblé que je voulois vous apprendre ce que vous faisiez, et comment vous étiez faite. Cependant, en y songeant davantage, je ne l’ai pas trouvé trop mal, car je ne doute pas que votre modestie ne vous ait caché ce que tout le monde connoît en vous.