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1684 revenons, ma fille : je vous écris donc en paix et en repos ; et quoique je sois avec vous, je sens toujours fort tristement notre séparation : c’est aujourd’hui le huitième jour que je suis ici : me voilà bien avancée. L’abbé Charrier est la seule personne avec qui je puisse parler de vous : il m’entend, je lui dis combien je vous aime ; rien ne peut tenir sa place quand il sera parti : il entre dans mes sentiments, il est surpris des vôtres, et que les distractions de Versailles et de Paris ne vous aient point encore consolée. Vous me regrettez comme on fait la santé, mais je ne suis pas de votre avis : vous avez mieux senti mes cinq ou six visites par jour, et la douceur de notre société, que l’on ne sent le plaisir de se bien porter : vous ne jugez pas équitablement de votre amitié. Pour moi, ma très-chère, je n’ai rien sur mon cœur, il n’y a moment que je n’aie été sensible au plaisir d’être avec vous : tous mes retours de messe, tous mes retours de ville, tous mes retours de chez le bien Bon, tout cela m’a donné de la joie ; enfin, je vous le dis dans la sincérité de mon cœur, j’ai coupé dans le vif, et le temps que j’ai passé heureusement avec vous n’avoit rien diminué de la vivacité de mes sentiments, cela est vrai. N’admirez-vous point où mon cœur me jette et m’égare ? Je suis toute seule, je suis toute attendrie ; cette disposition ne se rapportera point avec celle que vous aurez en recevant ma lettre ; mais il n’importe, ma chère Comtesse, il faut que vous ayez cette complaisance pour moi. Est-il possible que j’aie pu tant écrire sans avoir encore dit un mot de Mlle de Grignan ? Je suis plus fâchée de cette fuite[1] que je n’en suis sur-

  1. 2. Mlle de Grignan étoit allée à Gif (près d’Orsay), dans un couvent de bernardines, sans avoir communiqué son dessein à personne. (Note de Perrin). — Cette abbaye (non de bernardines, mais de bénédictines, voyez p. 300, note 1), fondée dans le douzième siècle par Maurice de Sully, évêque de Paris, n’existait plus au moment de la