1680
830. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
Je n’avois point encore tâté du dégoût et du chagrin de n’avoir point de vos lettres ; j’admïrois comme depuis mon départ je n’avois passé aucun ordinaire sans en avoir ; cette douceur me paroissoit bien grande, je la sentois, et j’en parlois souvent : mais j’en suis encore plus persuadée que jamais par le chagrin que cette privation me fait souffrir. Le bon du But, qui prend plaisir et qui se vante tous les jours de poste de me donner cette joie, ne m’a point écrit du tout, n’osant faire son paquet sans ces nouvelles de Provence si nécessaires à mon repos. Je n’ai donc reçu que des lettres de traverse ; il faut, ma chère enfant, que votre poste de Lyon ne m’en ait point apporté, car j’ai un commis fort soigneux, et du But, qui ne l’est pas moins. Je tâche à me faire entendre ce que je vous disois en pareille occasion ; je sais tout ce qui peut causer ce retardement : je compte que j’aurai vendredi deux de vos paquets ensemble ; mais ce vendredi est longtemps à venir : depuis le lundi matin jusqu’au vendredi, ce sont cinq jours d’une excessive longueur ; et vous savez mieux que personne comme on est peu maîtresse de ses craintes et de ses imaginations ; elles ont ici toute leur étendue ; rien ne brouille, ni ne démêle ces émotions : on ne peut s’amuser à envoyer savoir chez tous ceux qui sont dans votre commerce s’ils ont reçu leurs lettres ; on pense à la grande chaleur du pays où vous êtes, à la fièvre qui peut survenir dans le moment qu’on y pense le moins ; enfin, ma chère belle, on a beaucoup de peine à gouverner son imagination ; et le moyen de se mettre au-dessus de cette sorte de peine ?