Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1680 d’un coup : Comment Dieu jugeroit-il les hommes, si les hommes n’avoient point de libre arbitre ? en vérité, je n’entends point cet endroit, et je suis toute disposée à en faire un mystère[1] ; mais comme ce libre arbitre ne peut pas mettre notre salut en notre pouvoir, et qu’il faut toujours dépendre de Dieu, je ne cherche pas à être éclaircie davantage sur ce point, et je veux me tenir, si je puis[2], dans l’humilité et dans la dépendance. Si vous avez le livre de la Prédestination des saints, lisez-le, ma fille, vous en verrez beaucoup plus que je ne vous en dis.

Nous avons ici une petite huguenote qui dit que les enfants morts sans baptême vont droit en paradis sur la foi de leurs pères. Ah ! Mademoiselle, vous vous moquez de moi : comment voulez-vous qu’un enfant d’Adam[3], qu’une partie de cette masse corrompue, voie et connoisse Dieu ? Il ne faut donc point de rédempteur, si l’on peut aller au ciel sans lui : voilà, Mademoiselle, une grande hérésie. J’étonnai un peu ma petite huguenote ; je lui abandonnai les abus et les superstitions[4], je ne la poussai point sur le Saint-Sacrement, je me contentai d’assurer que je mourrois volontiers pour la réalité de Jésus-Christ. Je lui demandai pourquoi elle ne vouloit point invoquer les saints, puisque parmi les huguenots ils se recommandent aux prières les uns des autres ? Enfin, je me réveillai beaucoup par cette dispute : sans cela j’étois morte ; car cette fille étoit venue avec une Mme de la Hamélinière, dont le mari est votre parent.

  1. 29. « À croire que c’est un mystère. » (Édition de 1754.)
  2. 30. « Je n’ai pas besoin d’être éclaircie sur ce passage, et je me tiendrai, si je puis, etc. » (Ibidem.)
  3. 31. « Comment ! vous voulez qu’un enfant d’Adam, » (Ibidem.)
  4. 32. Dans le texte de 1737 : « je lui abandonnai certains abus qu’on nous reproche. »