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1679 vous point défendre de la tendresse qu’elle vous inspire, quand vous devriez la marier en Béarn. Mlles de Grignan ont eu grande raison de trouver le château de leurs pères très-beau ; mais, mon Dieu, quelles fatigues pour y parvenir ! que de nuits sur la paille, et sans dormir, et sans manger rien de chaud ! Ma chère fille, vous ne me dites pas comme vous vous en portez, et comme cette poitrine[1] en est échauffée, et comme votre sang en est irrité. Quelle circonstance à notre séparation que la crainte très-bien fondée que j’ai pour votre santé, et cette bise qui vous ôte la respiration[2] ! Hélas ! pouvois-je me plaindre en comparaison de ce que je souffre, quand je n’avois que votre absence à supporter ? Je croyois qu’on ne pouvoit pas être pis ; on n’imagine rien au delà : j’ignorois la peine où je suis ; je la trouve si dure à supporter que je regarderois comme une tranquillité l’état où j’étois alors ; encore si je pouvois me fier à vous, et me consoler dans l’espérance que vous aurez soin et pitié de vous et de moi, que vous donnassiez[3] du temps à vous reposer, à vous rafraîchir, à prendre ce qui peut apaiser votre sang ; mais je vous vois peu attentive à votre personne, dormant peu, mangeant peu, et cette écritoire toujours ouverte. Ma fille, si vous m’aimez, donnez-moi quelque repos, en prenant soin de vous. Ma chère Pauline, ayez soin de votre belle maman. Pour moi, je me porte très-bien.

  1. 8. « Mais, mon Dieu, quelles fatigues avant que d’y parvenir ! Il faudroit me dire au moins comme cette poitrine, etc. » (Édition de 1754.)
  2. 9. « Je crois entendre cette bise qui vous ôte la respiration. » (Ibidem.)
  3. 10. « Je croyois que rien ne pouvoit être plus mauvais ; mais je trouve si dure la peine où je suis, que je regarderois comme une tranquillité l’état où je me trouvois alors : si je pouvois du moins me consoler dans l’espérance que vous aurez pitié de vous et de moi, et que vous donnerez du temps, etc. » (Ibidem.)