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1680 que la connoissance m’est donnée. Vous dites que c’est pour se prendre à Dieu de tout : lisez, lisez ce traité que je vous ai marqué, et vous verrez que c’est à lui en effet qu’il s’en faut prendre, mais c’est avec respect et résignation ; et les hommes à qui[1] nous arrêtons notre vue, il faut les considérer comme les exécuteurs des ordres de Dieu[2], dont il sait bien tirer la fin qui lui plaît[3]. C’est ainsi qu’on raisonne quand on lève les yeux ; mais ordinairement on s’en tient aux pauvres petites causes secondes, et l’on souffre avec bien de l’impatience tout ce qu’on devroit recevoir avec soumission : voilà le misérable état où je suis ; c’est pour cela que vous m’avez vue me repentir, m’agiter et m’inquiéter tout de même qu’une autre ; et comme vous dites, ma belle, toutes les philosophies[4] ne sont bonnes que quand on n’en a que faire. Vous me priez de vous aimer davantage et toujours davantage ; en vérité, ma très-chère, vous m’embarrassez ; je ne sais point où l’on prend ce degré-là ; il est au-dessus

  1. 29. « Sur qui. » (Édition de 1754.)
  2. 30. « De ses ordres. » (Ibidem.)
  3. 31. « Nous ne voyons, dit Nicole, que le bâton qui nous frappe et qui nous châtie, et nous ne voyons pas la main qui s’en sert. Si nous découvrions Dieu partout, et que nous le regardassions au travers des voiles des créatures ; si nous voyions que c’est lui qui leur donne tout ce qu’elles ont de puissance, qui les pousse dans les choses qui sont bonnes, et qui dans les mauvaises détournant leur malice de tous les autres objets auxquels elle se pourroit porter, ne lui laisse point d’autre cours que celui qui sert à l’exécution de ses arrêts éternels : la vue de sa justice et de sa majesté arrêteroit nos plaintes, nos murmures et nos impatiences ; nous n’oserions pas dire en sa présence que nous ne méritons pas le traitement que nous souffrons, et nous ne pourrions pas avoir d’autres sentiments que celui qui faisoit dire à David : Je me suis tu, et je me suis humilié, parce que c’est vous qui l’avez fait. » (Essais de morale, IIe traité, seconde partie, chapitre i.)
  4. 32. « …tout de même qu’une autre. Je pense, comme vous, que toutes les philosophies, etc. » (Édition de 1754.)