Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1680 pensois, et j’ai trouvé tout d’un coup qu’elle a bien de l’esprit, et une envie si immodérée d’apprendre ce qui peut servir à être une honnête personne, éclairée[1] et moins sotte qu’on ne l’est en province, qu’elle m’en a touché le cœur : sa mère est une dévote ridicule. Cette fille a fait de son confesseur tout l’usage qu’on en peut faire ; c’est un jésuite qui a bien de l’esprit[2] : elle l’a prié d’avoir pitié d’elle, de sorte qu’il lui apprend un peu de tout[3] ; et son esprit est tellement débrouillé, qu’elle n’est ignorante sur rien. Tout cela est caché sous un beau visage fort régulier[4], sous une modestie extrême, sous une timidité aimable[5], sous une jeunesse de dix-sept ans. Il y auroit[6] bien des gens qui s’offriroient à lui donner de l’esprit comme dans la Fontaine[7] ; mais elle paroît n’en vouloir point de celui-là. Le temps lui pourra faire changer d’avis ; car je n’ai jamais vu mieux chanter, ni entendre les airs de l’opéra[8] : elle apprend à chanter des comédiens qui sont en cette ville[9].

  1. 6. « Et une envie immodérée d’apprendre ce qui peut servir à être une personne honnête, éclairée, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.) Si ayant été supprimé dans ces deux éditions et dans celles de 1726, que l’a été aussi deux lignes plus bas, et il y a simplement : «  elle m’en a touché le cœur. »
  2. 7. Dans l’impression de Rouen (1726) : « qui en sait beaucoup ; » dans les deux de Perrin : « qui a beaucoup d’esprit. »
  3. 8. Ce membre de phrase : « de sorte, etc., » manque dans l’édition de la Haye (1726) et dans les deux éditions de Perrin.
  4. 9. Les mots fort régulier ne sont pas dans le texte de 1754.
  5. 10. « « Une timidité naturelle. » (Éditions de 1737 et de 1754.)
  6. 11. Cette phrase et le commencement de la suivante, jusqu’aux mots je n’ai jamais vu, manquent dans l’édition de 1754.
  7. 12. Voyez le conte de la Fontaine (le 1er du livre IV), Comment l’esprit vient aux filles, publié en 1675.
  8. 13 « …faire changer d’avis : on ne peut mieux chanter, ni mieux entendre les airs de l’opéra qu’elle fait. » (Édition de Rouen, 1726.)
  9. 14. Ce membre de phrase ne se lit que dans notre manuscrit et dans l’édition de la Haye (1726).