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1680 pensées, et qui me donne du repos, autant que la sensibilité de mon cœur le peut permettre, car on ne dispose pas toujours à son gré de cette partie ; mais au moins je n’ai pas à gouverner en même temps et mes sentiments et mes pensées : cette dernière chose est soumise à cette volonté souveraine ; c’est là ma dévotion, c’est là mon scapulaire, c’est là mon rosaire, c’est là mon esclavage de la Vierge ; et si j’étois digne de croire que j’ai une voie toute marquée, je dirois que c’est là la mienne ; mais que fait-on d’un esprit éclairé et d’un cœur de glace ? Voilà le malheur, et à quoi je ne sais d’autre remède que de demander à Dieu le degré de chaleur si nécessaire ; mais c’est lui-même qui nous fait demander comme il faut. Je ne veux pas pousser plus loin ce chapitre, dont j’aime à parler ; nous en discourrons[1]peut-être quelque jour.

J’ai vu M. Rouillé : il est extrêmement content de vous, de Madame votre femme, de votre château, et de votre bonne chère. Il me loua fort aussi d’une lettre que vous lui avez montrée, et qu’il m’a assurée qui étoit fort bien écrite : j’en suis toujours étonnée, j’écris si vite que je ne le sens pas. Il me parla beaucoup de Provence : c’est un bon et honnête homme, et d’une grande probité ; je voudrois qu’il y retournât ; j’en doute fort. Quand je l’entends parler à l’infini, et répondre souvent à sa pensée, je ne puis oublier ce qu’on a dit de lui, que c’étoit une clef dans une serrure, qui tourne, qui fait du bruit, et qui ne sauroit ouvrir ni à droit ni à gauche : cette vision est plaisante ; franchement, la serrure est brouillée fort souvent[2]; mais cela n’est point essentiel, et il vaut mieux qu’un autre[3].

  1. 2. Mme de Sévigné a écrit discourerons
  2. 3. Voyez plus haut, p. 380.
  3. 4. Il y a : « qu’une autre, » dans l’original.