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tugal ; mais je n’ai rien lu de vous depuis le 28e du passé ; cela est long : je relis vos anciennes lettres. Adieu, ma très-chère : en voilà assez pour aujourd’hui.


1680

809. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Ingrande[1] dimanche au soir 12e mai.

Nous voici arrivés, ma chère fille, avec le même beau temps, la même rivière, et les mêmes rossignols[2]. Je ne m’accoutume point à la beauté de ce pays, et je crois que vous en seriez surprise vous-même, comme si vous ne l’aviez jamais vu. Il y a des âges où l’on ne regarde que soi ; vous n’en avez jamais été fort occupée ; cependant il me semble que nous étions plus appliquées dans ce bateau à disputer contre ce petit comte des Chapelles[3] qu’à regarder ces beautés champêtres. Voici justement tout le contraire : nous sommes dans un profond silence, parfaitement à notre aise, lisant, rêvant, dans un entier éloignement de toute sorte de nouvelles, et vivant enfin sur nos réflexions[4]. Le bon abbé prie Dieu sans cesse ; j’écoute ses lectures saintes ; mais quand il est dans le chapelet, je m’en dispense, trouvant que je rêve assez

  1. Lettre 809. — 1. Dans le texte de 1737, qui ne donne que la première partie de cette lettre, celle qui est datée d’Ingrande, il y a ce dimanche, au-lieu de dimanche au soir. — Ingrande est un bourg situé sur la Loire, à sept lieues au sud-ouest d’Angers.
  2. 2. « La même apparence de rivière, et, je crois, les mêmes rossignols. » (Édition de 1754.)
  3. 3. Voyez tome II, p. 319, note 7 (à la première ligne de cette note, lisez fils, au lieu de petit-fils) : il était mort en 1673.
  4. 4. « Lisant, rêvant, admirant, éloignés de toutes sortes de nouvelles, et vivant sur nos réflexions. » (Édition de 1754.)