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1680 qu’elle ne la trouveroit point, qu’elle ne la verroit que dans le ciel, qu’il falloit se résoudre à la volonté de Dieu. Cette pauvre femme s’évanouit, et ne revint que pour faire des cris et des plaintes[1] qui faisoient fendre le cœur, disant que c’étoit elle et la vue de son malheur qui l’avoient tuée, qu’elle voudroit être morte en prison, qu’elle ne pouvoit rien sentir que la perte d’une si bonne mère. Le petit Coulanges étoit présent ce spectacle ; il avoit couru chez M. de Dreux, comme beaucoup d’autres, et il nous conta tout ceci hier au soir, si naturellement et si touché lui-même[2], que Mme de Coulanges en eut les yeux rouges, et moi j’en pleurai sans pouvoir m’en empêcher. Que dites-vous, ma fille, de cette amertume qui vient troubler sa joie et son triomphe, et les embrassements de toute sa famille et de tous ses amis ? Elle est encore aujourd’hui dans des pleurs que M. de Richelieu ne peut essuyer : il a fait des merveilles dans toute cette affaire. Je me suis jetée insensiblement dans ce détail, que vous comprendrez mieux qu’une autre, et dont tout le monde est touché. On croit que M. de Luxembourg sera tout aussi bien traité[3] ; car même il y avoit

  1. 10. « Des plaintes et des cris. » (Édition de 1754.)
  2. 11. Cela ne l’empêcha pas de faire un très-joli couplet sur l’aventure de M. de Dreux. Voyez une note de la lettre du 12 mai suivant. (Note de l’édition de 1818.)
  3. 12. « Sera tout aussi bien traité que Mme de Dreux ; » et à la ligne suivante : « de la renvoyer. » (Édition de 1754.) — Les pièces relatives au duc de Luxembourg n’ont pas été retrouvées parmi celles de l'affaire des poisons, qui existent à la bibliothèque de Monsieur (de l’Arsenal), de sorte qu’il est difficile de savoir positivement combien de temps le maréchal passa à la Bastille. Suivant Desormeaux, l’historien de la maison de Montmorency, le maréchal fut absous par arrêt du 17 avril, et le 18 il reçut un ordre du Roi qui l’exilait à vingt lieues de Paris. L’éditeur des Mémoires historiques et authentiques sur la Bastille, Paris, 1789, dit, à la p. 124 du tome I, que l’arrêt fut rendu le 14 mai 1680. Cette date paraît être la véri-