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elle paroît fort touchée de votre amitié : vous ne sauriez nous ôter l’espérance ni l’envie de vous recevoir, chacune selon nos degrés de chaleur. Vous êtes à Grignan, ma chère bonne : vous êtes trop près de moi ; il faut que je m’éloigne.


1680

800. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 17e avril.

Il faut que je vous avoue ma foiblesse, ma chère enfant : il y a quatre jours que je suis dans une inquiétude plus insupportable qu’elle ne l’a paru à tout le monde ; car on se moquoit de ma crainte, et l’on me disoit que pour avoir été un ordinaire sans recevoir de vos lettres, ce n’étoit pas une raison pour être en peine, et que mille petites choses pouvoient causer ce dérangement. J’entrois dans leurs raisons ; j’étois fort aise qu’on se moquât de moi ; mais intérieurement j’étois troublée, et il y avoit des heures où mon chagrin étoit noir, quoique ma raison tâchât toujours de l’éclaircir. Je vous avois laissée sur le bord de la Durance, c’est-à-dire à la veille de la passer ; comme je hais cette rivière, il me semble qu’elle me hait aussi. La dernière fois que je l’ai vue, elle étoit hors de son lit comme une Furie déchaînée : cette idée m’avoit frappée ; je sais que les naufrages ne sont pas fréquents ; mais enfin j’avoue ma folie, et j’ai été dans une inquiétude que je vous permets de nommer ridicule, pourvu que vous compreniez la très-sensible joie que je viens de ressentir en recevant vos deux paquets à la fois.

Vous voilà donc à Grignan, ma très-chère, avec toute