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1680 nulle beauté, mais il est vrai que son esprit lui sied si parfaitement bien, qu’on ne voit que cela, et l’on n’est occupé que de la bonne grâce et de l’air naturel avec lequel elle se démêle de tous ses devoirs. Il n’y a nulle princesse née dans le Louvre qui pût s’en mieux acquitter. C’est beaucoup que d’avoir de l’esprit au-dessus des autres dans cette place, où pour l’ordinaire on se contente de ce que la politique vous donne : on est heureux quand on trouve du mérite. Elle est fort obligeante, mais avec dignité et sans fadeur ; elle a ses sentiments tout formés dès Munich, elle ne prend point ceux des autres. On lui propose de jouer : « Je n’aime point le jeu. » On la prie d’aller à la chasse : « Je n’ai jamais aimé la chasse. — Qu’aimez-vous donc ? — J’aime la conversation ; j’aime à être paisiblement dans ma chambre ; j’aime à travailler ; » et voilà qui est réglé et ne se contraint point. Ce qu’elle aime parfaitement, c’est de plaire au Roi. Cette envie est digne de son bon esprit, et elle réussit tellement bien dans cette entreprise, que le Roi lui donne une grande partie de son temps au dépens[1] de ses anciennes amies, qui souffrent cette privation avec impatience.

Songez, je vous prie, que voilà quasi toute la Fronde morte : il en mourra bien d’autres ; pour moi, je ne trouve point d’autre consolation, s’il y en a dans les pertes sensibles, que de penser qu’à tous les moments on les suit, et que le temps même qu’on emploie à les pleurer ne vous arrête pas un moment ; vous avancez toujours dans le chemin : que ne diroit-on point là-dessus ?

Adieu, mon cher Monsieur : aimons-nous toujours beaucoup. Et vous aussi, Madame, ne voulez-vous pas bien en être ? Mandez-moi promptement quand vous

  1. 4. Au dépens est ainsi au singulier dans l’autographe.