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1680

796. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 5e avril.

Vous m’écrivez, ma chère fille, une fort grande lettre de votre main ; cela commence par me donner beaucoup de chagrin[1], quand je pense au mal que cela vous fait. Vous m’aviez tant promis de vous ménager, que je comptois un peu plus sur les paroles que vous m’en aviez données[2]. Mais je ne puis m’empêcher d’être persuadée que vous me tiendrez celle de me venir voir cet hiver, et je veux croire que nous avons déjà passé plus de la moitié du temps que nous devons être séparées. J’admire comme il passe, ce temps, quoique avec bien des inquiétudes et bien de l’ennui. Vous dites fort bien, il est quelquefois aussi bon de le laisser passer que de le vouloir retenir. Pour moi, vous savez comme je le jette, et comme je le pousse jusqu’à ce que vous soyez ici ; et puis je serai avare et au désespoir de voir passer les jours[3]. Je vais avaler la Bretagne, et j’ai le bonheur de voir au delà, le temps que nous arriverons chacune de notre côté : mettez-vous un peu tout cela dans la tête, c’est par là d’ordinaire qu’on en vient à l’exécution.

Enfin vous me parlez de la mort de M. de la Rochefoucauld ; elle est encore toute sensible en ce pays-ci, et M. de Marsillac n’a point encore pris la contenance d’un homme consolé ; il remplit parfaitement le personnage

  1. Lettre 796 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Beaucoup d’inquiétude. » (Édition de 1754.)
  2. 2. « Que vous m’en donniez. » (Ibidem.)
  3. 3. « Pour moi, qui le jette, comme vous savez, et le pousse jusqu’à ce que vous soyez ici, j’en suis avare quand vous y êtes, et suis désespérée de voir passer les jours. » (Ibidem.)