Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1680 prend à l’abbé, qui croyoit que Mme de Lassay[1] étoit demeurée d’accord de tout ; il se défend fort bien, et maintient que ce logement est fort joli : c’est une nouvelle tribulation. Vous n’êtes pas en état d’envisager votre retour, vous êtes encore trop battus de l’oiseau[2] , comme disoit l’abbé au reversis : j’espère qu’après quelques mois de repos à Grignan vous changerez d’avis, et que vous ne trouverez pas qu’un hiver à Grignan soit une bonne chose à imaginer.

Pour mon fils il est vrai que je trouve du courage : je lui dis et redis toutes mes pensées ; je lui écris des lettres que je crois qui sont admirables ; et plus je donne de force à mes raisons, et plus il pousse les siennes, avec une volonté si déterminée[3], que je comprends que c’est là ce qui s’appelle vouloir efficacement. Il y a un degré de chaleur dans le desir qui l’anime, à quoi nulle prudence humaine[4] ne peut résister. Je n’ai pas sur mon cœur d’avoir préféré mes intérêts à sa fortune : je les trouverois tout entiers à la voir[5] marcher avec plaisir dans un chemin où je le conduis depuis si longtemps. Il se trompe dans tous ses raisonnements, il est tout de travers : j’ai tâché de le redresser avec des raisons toutes droites et toutes vraies, appuyées du sentiment de tous nos amis ; et enfin je lui dis : « Mais ne vous défiez

  1. 20. Sans doute Marie-Anne Pajot, seconde femme du marquis de Lassay, lequel épousa plus tard Mlle de Guenani. Voyez tome II, p. 140, note 4.
  2. 21. « On dit qu’un homme est battu de l’oiseau, quand il lui est arrivé plusieurs malheurs, plusieurs pertes, qui lui ont abattu le courage, » (Dictionnaire de Furetière.)
  3. 22. « Mais plus je donne de force à mes raisons, plus il pousse les siennes ; et sa volonté paroît si déterminée, etc. » (Édition de 1754.) — À la ligne suivante, le mot vouloir a été omis dans notre manuscrit.
  4. 23. « Nulle prudence. » (Édition de 1754.)
  5. 24. « À le voir. » (Ibidem.)