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1680 jamais je vous demande à genoux, avec des larmes, de ne point remettre à l’infini les remèdes que M. de la Rouvière[1] veut que vous fassiez, et sans lesquels vous ne pouvez vous rétablir. Vous vous contentez de les savoir : voilà une provision ; ils sont dans votre cassette ; et cependant votre sang ne se guérit point, votre poitrine est souvent douloureuse ; il vous suffit de savoir des remèdes, vous ne voulez pas les faire ; et quand vous le voudrez, hélas ! peut-être que votre mal sera trop grand. Est-il possible que vous vouliez me donner cette douleur amère et continuelle ? Avez-vous peur de guérir ? M. de la Rouvière, M. de Grignan, tout cela n’a-t-il point de crédit auprès de vous ? Et vous, Monsieur de Grignan, n’êtes-vous pas cruel de la mener à Marseille, et peut-être plus loin ? Pouvez-vous sans trembler la faire trotter ainsi avec vous ? Hélas ! vous savez combien le repos lui est nécessaire : comment l’exposez-vous à de telles fatigues ? Je vous conjure que votre amitié m’explique cette conduite : est-ce que vous êtes parfaitement content de sa santé et que vous n’y souhaitez plus rien ? Plût à Dieu que cela fût ainsi ! J’ai vu que vous me parliez de cette chère santé : vous ne m’en dites plus rien, et je vois que vous la promenez.

Cependant Monsieur le Coadjuteur, que j’ai vu un moment, ne m’a point contentée : il dit que vous écrivez toujours, et que quelquefois vous sortez de ce cabinet si épuisée que vous n’êtes pas reconnoissable. Eh, mon Dieu ! quand je songe que vous vous tuez pour les gens du monde qui vous aiment le plus chèrement, qui don-

  1. 16. Le médecin d’Aix dont Mme de Sévigné parle au comte de Guitaut dans la lettre du 5 avril suivant, p. 343 ; voyez aussi plus haut, p. 265 et 292 : Pierre de la Rouvière, qui fut docteur ès droits, et de la Faculté de médecine de l’université d’Avignon, et membre de la Société royale de Londres.