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1680

790. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 15e mars.

Je crains bien que nous ne perdions cette fois[1] M. de la Rochefoucauld : sa fièvre a continué ; il reçut hier Notre-Seigneur. Mais son état est une chose digne d’admiration : il est fort bien disposé pour sa conscience, voilà qui est fait ; du reste, c’est la maladie et la mort de son voisin dont il est question ; il n’en est pas effleuré, il n’en est pas troublé ; il entend plaider devant lui la cause des médecins, du frère Ange, et de l’Anglois, d’une tête libre, sans daigner quasi dire son avis ; je reviens à ce vers

Trop au-dessous de lui pour y prêter l’esprit[2].

Il ne voyoit point hier matin Mme de la Fayette, parce qu’elle pleuroit, et qu’il recevoit Notre-Seigneur ; il envoya savoir à midi de ses nouvelles. Croyez-moi, ma fille, ce n’est pas inutilement qu’il a fait des réflexions toute sa vie ; il s’est approché de telle sorte ces derniers moments, qu’ils n’ont rien de nouveau, ni d’étranger pour lui. M. de Marsillac arriva avant-hier à minuit, si comblé de douleur amère, que vous ne seriez pas autrement pour moi. Il fut longtemps à se faire un visage et une contenance ; enfin il entra, et trouva[3] M. de la Rochefoucauld dans cette chaise, peu différent de ce qu’il est toujours. Comme c’est lui[4] qui est son ami, de tous ses enfants on fut persuadé que le dedans étoit troublé ; mais il n’en parut rien, et il oublia de lui parler de sa maladie. Ce

  1. Lettre 790. — 1. « Je crains bien pour cette fois que nous ne perdions. » (Édition de 1754.)
  2. 2. Voyez plus haut, p. 197.
  3. 3. « Il entre enfin, et trouve. » (Édition de 1754.)
  4. 4. « Comme c’est M. de Marsillac. » (Ibidem.)