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1680 si beaux cheveux, et tant d’esprit et de bonté, caressante sans être fade, familière avec dignité, enfin tant de manières propres à charmer, qu’il faut lui pardonner ce premier coup d’œil[1]. Monseigneur a fort bien opéré : il oublia d’abord de la baiser en la saluant ; mais il n’a pas oublié ce que Monsieur de Condom ne lui pouvoit apprendre. Je suis bien folle de vous dire tout ceci : le chevalier n’est-il pas payé pour cela[2] ?

Vous repoussez fort bien nos histoires tragiques par les vôtres[3]. J’aime bien le bon naturel de ce fils qui tombe mort en voyant son pauvre père pendu : cela fait honneur aux enfants ; il y avoit longtemps que les pères avoient fait leurs preuves. L’amant jaloux et furieux qui tue tout à Arles, met le bouton bien haut à nos amants d’ici : on n’a pas le loisir d’être si amoureux ; la diversité des objets dissipe trop, et détourne[4] et diminue la passion. Il y eut encore une histoire lamentable autrefois à Fréjus : ce climat est meilleur que le nôtre[5]. N’avançons point un avenir si triste et songeons à nous revoir. Hélas ! la vie est si courte désormais pour moi et passe si vite ! Que faisons-nous ? et quand nous sommes assez malheureux pour n’être point uniquement occupés à Dieu, pouvons-nous mieux faire que d’aimer et de vivre doucement parmi nos proches et ceux que nous aimons ?

  1. 32. « Le premier coup d’œil. » (Édition de la Haye, 1726.) — Les deux phrases suivantes manquent dans les impressions de 1737 et de 1754.
  2. 33. Ce dernier membre de phrase : « le chevalier, etc., » ne se lit que dans les impressions de la Haye et de Rouen (1726), où la lettre finit ici.
  3. 34. « Au reste, ma fille, vous répondez fort bien [à] nos histoires tragiques par les vôtres. » (Édition de 1737.)
  4. 35. « Elle détourne. » (Édition de 1754)
  5. 36. Tout ce qui suit, jusqu’à : « Je crois que Madame la Dauphine, » ne se trouve que dans notre manuscrit.