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1680 chevaux tués sous eux ; très-souvent la scène est ensanglantée : voilà les divertissements d’un royaume chrétien ; les nôtres sont bien opposés à cette destruction, et bien plus aisés à comprendre.

Vous êtes trop aimable de penser à Corbinelli ; il a triomphé dans cette occasion, et a redoublé sa dévotion à la Providence. Je ne connois personne dont les vues et les connoissances soient plus chrétiennes que les siennes ; il a été fort touché de ce tourbillon de bonheur dans votre famille[1] ; il a quelquefois tant d’esprit, que je voudrois que vous l’eussiez pour vous divertir. Il a mis tous ses intérêts entre les mains du lieutenant civil, qui, à ce que je crois, lui donnera une sentence arbitrale dans peu de jours ; il a étudié le droit, il juge tous les procès sans que personne l’en prie[2]. Je n’ai pas voulu qu’il ait été à des assemblées de beaux esprits, parce que je sais qu’il y a des barbets qui rapportent à merveilles ce qu’on dit à l’honneur de votre père Descartes. Nous apprenons, à votre exemple, à ne point soutenir les mauvais partis, et à laisser généreusement accabler nos anciens amis : voici le pays de la politique, aussi bien que le pays des objets ; il est vrai que les idées n’y font pas un grand séjour. Vous dites fort bien, en vérité : il n’y a que moi qui passe sa vie à être occupée et de la présence et du souvenir de la personne aimée.

Vous me dites sur les échecs, ma fille, ce que j’ai souvent pensé ; je ne trouve rien qui rabaisse tant l’orgueil : ce jeu fait sentir la misère et les bornes de l’esprit ; je crois qu’il seroit fort utile à quelqu’un qui aimeroit ces

  1. 23. « Dans la maison de Grignan. » (Édition de 1754.)
  2. 24. Cette phrase a été ainsi abrégée dans l’impression de 1737 : « Il a une grande affaire pour laquelle il a étudié le droit, et depuis il juge tous les procès sans que personne l’en prie. »