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1680 bourreau leur arrachent la tête avec des crocs de fer. » Vous voyez bien, ma fille, que cela n’est pas si terrible que l’on pense : comment vous portez-vous de ce petit conte ? Il m’a fait grincer les dents. Une de ces misérables, qui fut pendue l’autre jour, avoit demandé la vie à M. de Louvois, et qu’en ce cas elle diroit des choses étranges ; elle fut refusée. « Eh bien ! dit-elle, soyez persuadé que nulle douleur ne me fera dire une seule parole. » On lui donna la question ordinaire, extraordinaire, et si extraordinairement extraordinaire, qu’elle pensa y mourir, comme une autre qui expira, le médecin lui tenant le pouls, cela soit dit en passant. Cette femme donc souffrit tout l’excès de ce martyre sans parler. On la mène à la Grève ; avant que d’être jetée, elle dit qu’elle vouloit parler ; elle se présente héroïquement : « Messieurs, dit-elle, assurez M. de Louvois que je suis sa servante, et que je lui ai tenu ma parole ; allons, qu’on achève. » Elle fut expédiée à l’instant. Que dites-vous de cette sorte de courage ? Je sais encore mille petits contes agréables comme celui-là ; mais le moyen de tout dire ?

Voilà ce qui forme nos douces conversations, pendant que vous vous réjouissez, que vous êtes au bal, que vous donnez de grands soupers[1]. J’ai bien envie de savoir le détail de toutes vos fêtes ; vous ne ferez autre chose tous ces jours gras, et vous avez beau vous dépêcher de vous divertir, vous n’en trouverez pas sitôt la fin : nous avons le carême bien haut[2].

  1. 22. « Pendant que nous sommes parmi ces horreurs, vous êtes au bal, ma fille, vous donnez de grands soupers. » (Édition de 1737.)
  2. 23. Pâques tombait au 21 avril.