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1679 possession vous avez prise de mon cœur, et quelle trace vous avez faite dans ma tête ! Vous avez raison d’en être bien persuadée ; vous ne sauriez aller trop loin ; ne craignez point de passer le but ; allez, allez, portez vos idées où vous voudrez, elles n’iront pas au delà ; et pour vous, ma fille, ah ! ne croyez point que j’aie pour remède à ma tendresse la pensée de n’être pas aimée de vous : non, non, je crois que vous m’aimez, je m’abandonne sur ce pied-là, et j’y compte sûrement. Vous me dites que votre cœur est comme je le puis souhaiter, et comme je ne le crois pas : défaites-vous de cette pensée ; il est comme je le souhaite, et comme je le crois. Voilà qui est dit, je n’en parlerai plus ; je vous conjure de vous en tenir là, et de croire vous-même qu’un mot, un seul mot sera toujours capable de me remettre cette vérité devant les yeux, qui est toujours dans le fond de mon cœur, et que vous y trouverez quand vous voudrez m’ôter les illusions et les fantômes qui ne font que passer ; mais je vous l’ai dit une fois, ma fille, ils me font peur et me font transir, tout fantômes qu’ils sont : ôtez-les-moi donc, il vous est aisé ; et vous y trouverez toujours, je dis toujours, le même cœur persuadé du vôtre, ce cœur qui vous aime uniquement, et que vous appelez votre bien avec justice, puisqu’il ne peut vous manquer. Finissons ce chapitre, qui ne finiroit pas naturellement, la source étant inépuisable, et parlons, ma chère enfant, de toutes les fatigues infinies de votre voyage.

Pourquoi prendre[1] la route de Bourgogne, puisqu’elle est si cruelle ? C’est la diligence, je comprends bien cela. Enfin, vous voilà arrivée à Grignan. J’ai reçu toutes vos lettres aimables de Chagny, de Chalon, du bateau, de

  1. 3. « Pourquoi prend-on. » (Édition de 1754.)