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1680

768. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 5e janvier.

Il est bien aisé de comprendre la tristesse de vos souffrances : rien n’est plus affligeant ; et pensez-vous que cela n’entre pas dans la composition de ce qui cause le douloureux état où vous êtes ? Je vous supplie de croire que je le partage avec vous, et que je sens si vivement, et si tendrement tout ce qui vous touche, que ce n’est point y prendre part ; c’est y entrer et le ressentir entièrement. Le moyen d’envisager ce chaos et cette chute d’un nom et d’une maison si chère ? et quelle personne accablée sous ces débris ! Quel ordre de la Providence, et quelle amertume ne trouve-t-on point malgré la soumission que nous voulons avoir ! Je ne sais si vous faites bien de croire qu’il n’y ait rien à régler à vos dépenses. Il faudroit être à Salon pour entendre Monsieur l’Archevêque[1]. Il est vrai que ce jeu me fait peur ; M. de Grignan hait la bassette, mais il aime l’hombre, et ne le sait point du tout ; car cela ne s’appelle pas le jouer, qu’il perde tous les jours à ce jeu : n’est-ce pas doubler la dépense nécessaire ? Voilà justement ce que je n’aimerois pas ; et quand vous dites que c’est un os que vous donnez à ronger à votre compagnie, je sais bien qu’il faut leur en jeter ; mais je ne voudrois pas que ce fussent les miens ; je leur ferois ronger entre eux leurs propres os, et pour mille raisons je ne m’ôterois le nécessaire. Voilà mon avis, que vous suivrez, si Dieu vous l’inspire ; je le souhaite de tout mon cœur, et serai très-fâchée si

  1. Lettre 768 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. D’Arles. — Le premier paragraphe de la lettre n’est que dans notre manuscrit ; le second ne s’y trouve pas.