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1679 tout ; et ce commerce rompu de mon côté me donnera autant de chagrin que’j’aurai de soulagement si vous en usez comme je vous le dis. Quoi ! je pourrois me reprocher le mal que vous sentez ! Hélas ! ma chère enfant, il me fait assez de mal, sans que j’y ajoute de vous tuer de ma propre main ; voilà qui est fait : si vous m’aimez, ôtez-moi du nombre de ce que vous croyez vos devoirs ; je me croirai[1] la plus aimée, la mieux traitée, la plus tendrement ménagée, quand vous prendrez sur moi, et que vous ôterez du nombre de vos fatigues le volume que vous m’écrivez. Il y a longtemps que j’en suis blessée[2], et que je me doute de ce qui vous est arrivé ; mais enfin cela est trop visible, et j’aimerai toute ma vie Montgobert de vous avoir forcée à lui quitter la plume : voilà ce que j’appelle de l’amitié ; je m’en vais l’en remercier ; voilà ce qui s’appelle avoir des yeux, et vous regarder ; je me moque de tout le reste : ils ont des yeux et ne voient point ; nous avons les mêmes yeux, elle et moi ; aussi je n’écoute qu’elle : elle n’a osé me dire un mot cette fois ; sa sincérité et la crainte de m’affliger lui ont imposé silence. Mlle de Méri se gouverne bien mieux : elle n’écrit point. Corbinelli se tue quand il veut : il n’a qu’à écrire ; qu’il soit huit jours sans regarder son écritoire, il ressuscite. Laissez, laissez un peu la vôtre, toute jolie qu’elle est ; ne vous disois-je pas bien que c’étoit un poignard que je vous donnois[3] ? Vous avez si bien ménagé ce que vous avez

  1. 3. La fin de la phrase, à partir de : « je me croirai, » manque dans l’impression de 1754.
  2. 4. « Il y a longtemps que je suis blessée du volume que vous m’écrivez. » {Édition de 1754.)
  3. 5. Voyez la lettre du 1er décembre précédent, p. 114. — Tout ce qui suit, jusqu’à : « Vous avez été à Lambesc, » est remplacé dans l’édition de 1754 par cette simple phrase : « Je vis l’autre jour du Chesne qui me parla de votre santé, et me dit encore pis que pendre de cette chienne d’écriture. »