1679 Il seroit à souhaiter que ma pauvre plume, galopant comme elle fait, galopât au moins sur le bon pied. Vous en seriez moins ennuyés, Monsieur et Madame ; car c’est toujours à vous deux que je parle, et vous deux que j’embrasse de tout mon cœur. Ma fille me prie de vous dire bien des amitiés à l’un et à l’autre. Elle se port mieux ; mais comme un bien n’est jamais pur en ce monde, elle pense à s’en aller en Provence, et je ne pourrois acheter le plaisir de la voir que par sa mauvaise santé. Il faut choisir, et se résoudre à l’absence ; elle est amère et dure à supporter. Vous êtes bien heureux de ne point sentir la douleur des séparations ; celle de mon fils, qui s’en va camper à la plaine d’Ouilles[1] n’est pas si triste que celle des autres années ; mais il ne s’en faut guère qu’elle ne coûte autant : l’or et l’argent, les beaux chevaux et les justaucorps étant la vraie représentation des troupes du roi de Perse.
Faites-vous envoyer promptement les Fables de la Fontaine[2] : elles sont divines. On croit d’abord en distinguer quelques-unes, et à force de les relire, on les trouve toutes bonnes. C’est une manière de narrer et un style à quoi l’on ne s’accoutume point. Mandez-m’en votre avis, et le nom de celles qui vous auront sauté aux yeux les premières.
Notre ami Corbinelli est dans l’espérance de l’accom-
- ↑ 10. Voyez tome I, p. 491, note 3. La Gazette du 5 août annonce que le Roi a fait préparer ce camp pour les troupes de sa maison, et qu’il y est allé le Ier du mois, ainsi que la Reine et le Dauphin. Toutes les troupes étaient commandées par le duc de Noailles, capitaine de la première compagnie des gardes du corps. — Voyez la Bruyère, au commencement du chapitre de la Ville.
- ↑ 11. La Fontaine venait de publier, en 1678 et 1679, son second recueil de fables, qui ne renfermait que cinq livres (VII à XI). Le premier recueil, réimprimé à la même époque, en contenait six. Le douzième livre ne parut que longtemps après.