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1679 très-humble servante ; j’ai répondu sur ce ton ; il y a eu quelques paroles piquantes de part et d’autre, je l’avoue ; mais enfin on fait la paix générale, et cela donne un bon exemple pour les divisions particulières. Je prie M de Guitaut de se mêler de ce traité que je signerai immédiatement après celui de la Maison. Vous en avez donc la tête bien rompue ! J’admire votre bonté, et que vous souffriez un tel bruit dans votre château. Je veux vous expliquer ma pensée dans le beau marché que j’ai fait avec mon fermier, dont je vois fort bien que vous vous moquez ; ce ne fut point l’abbé, ce fut moi, et voici ma raison : tous les ans j’étois en furie de n’être pas payée d’une demi-année ; on me donnoit pour raison que les grains étoient dans mes greniers, mais qu’on attendoit qu’ils fussent chers, afin de n’y pas perdre ; ils faisoient plus, car comme ils vouloient y gagner, ils attendoient des quatre et cinq ans que la vente fût bonne ; et cependant je n’avois point d’argent, et ne voulant pas ruiner mon fermier en le faisant payer par force, je sentois l’incommodité de leur économie ou de leur avarice, et je me trouvois entraînée dans l’attente d’une bonne année et quelquefois d’une ruine, par les hasards et les petites bêtes qui gâtent souvent les blés. Cela me donna[1] la belle pensée de vouloir être maîtresse de les vendre quand il me plairoit, et de manger mon blé en vert quand la fantaisie m’en prendroit ; de cette sorte, le fermier ne peut être ruiné, je ne le gronde point pour me payer, et je la suis quand je veux. Pourquoi trouvez-vous cela si ridicule, quand on sait qu’un fermier ne gagne quasi rien et qu’on ne veut pas le mettre à bas ? Sérieu-

  1. Lettre 722 (revue sur l’autographe). — 1. Les premières impressions de cette lettre portent : « Cela me donne ; » trois lignes plus bas, dans les mêmes impressions, les mots : « quand la fantaisie m’en prendroit, » ont été sautés.