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1678 duite et l’absence ne peut, ce me semble, vous obliger à de grands soins Il ne lui faudroit que d’être persuadé que vous avez de l’amitié pour lui, comme il a cru que vous en aviez eu, et même avec moins de démonstrations, parce que ce temps est passé. Voilà ce que je vois du point de vue où je suis ; mais comme ce n’est qu’un côté, et que du vôtre je ne sais aucune de vos raisons, ni de vos sentiments, il est très-possible que je raisonne mal. Je trouvois moi-même un si grand intérêt à vous conserver cette source inépuisable, et cela pouvoit être bon à tant de choses, qu’il étoit bien naturel de travailler sur ce fonds.

Mais je quitte ce discours pour revenir un peu à moi. Vous disiez hier cruellement, ma bonne, que je serois trop heureuse quand vous seriez loin de moi, que vous me donniez mille chagrins, que vous ne faisiez que me contrarier. Je ne puis penser à ce discours sans avoir le cœur percé et fondre en larmes. Ma très-chère, vous ignorez bien comme je suis pour vous, si vous ne savez que tous les chagrins que me peut donner l’excès de la tendresse que j’ai pour vous, sont plus agréables que tous les plaisirs du monde où vous n’avez point de part. Il est vrai que je suis quelquefois blessée de l’entière ignorance où je suis de vos sentiments, du peu de part que j’ai à votre confiance ; j’accorde avec peine l’amitié que vous avez pour moi avec cette séparation de toute sorte de confidences. Je sais que vos amis sont traités autrement ; mais enfin je me dis que c’est mon malheur, que vous êtes de cette humeur, qu’on ne se change point ; et plus que tout cela, ma bonne, admirez la foiblesse d’une véritable tendresse, c’est qu’effectivement votre présence, un mot d’amitié, un retour, une douceur, me ramène et me fait tout oublier. Ainsi, ma belle, ayant mille fois plus de joie que de chagrin, et ce fonds étant invariable, jugez avec quelle douleur je souffre que vous