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1678 rends. Personne de vous deux n’a encore fait les premiers pas ; ce n’est pas à vous à rompre cette glace : ainsi je trouve à propos de me taire sur ce chapitre ; mais je ne ferai pas de même sur toute l’amitié que vous me promettez, ma nièce de Coligny et vous[1]. Je suis ravie de vous plaire, et d’être estimée de vous deux. Nous nous mîmes l’autre jour à parler d’elle, ma fille, M. de Corbinelli et moi : en vérité, elle fut célébrée dignement ; et l’un des plus beaux endroits que nous trouvassions en elle fut la tendresse et l’attachement qu’elle a pour vous, et le plaisir qu’elle prend à adoucir votre exil ; cela vient d’un fonds héroïque. Mlle de Scudéry dit que la vraie mesure du mérite se doit prendre sur l’étendue de la capacité qu’on a d’aimer : jugez par là du prix de votre fille. Il faut louer aussi ceux qui sont dignes d’être aimés : ceci vous regarde, mon cousin.

Au reste, je vous réponds de votre incorruptibilité tant que vous serez ensemble.

L’armée de M. de Luxembourg n’est point encore séparée ; les goujats parlent même du siège de Trèves ou de Juliers[2]. Je serai au désespoir, s’il faut que je re-

  1. 3. On lit ici, dans l’édition de 1818, quelques lignes qui ne sont point dans nos manuscrits : « …que vous me promettez, vous et Mme de Coligny, et si nous étions dans un règne moins juste que celui-ci, on pourrait bien vous changer un exil que vous rendez trop agréable, comme on fit à un Romain : on apprit qu’il passoit la plus douce vie du monde dans une île où il étoit exilé ; on le rappela à Rome et on le condamna à y vivre avec sa femme. Je suis charmée que vous me promettiez de m’aimer, ma nièce de Coligny et vous. Je suis ravie, etc. »
  2. 4. La Gazette du 22 octobre annonce à la date du 12, c’est-à-dire du jour même où Mme de Sévigné écrivait cette lettre, que « le duc de Luxembourg partit de Huy le 8 avec son armée, et arriva le 10 aux environs d’Aix-la-Chapelle. Sur le bruit de sa marche, l’armée des alliés se retira vers Cologne, après avoir jeté un régiment d’infanterie dans Juliers, etc. »