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1678Je remarque que quoique le Roi l’aime fort, et qu’il ait grande raison de le faire, il s’aime encore davantage qu’elle, et il ne fait pas comme Charles II, qui, au lieu de mener la belle Agnès à l’armée, demeuroit avec elle à Meun-sur-Yèvres[1] ou à Bourges, tandis qu’on lui disputoit son royaume. À propos de cela, Madame, il faut que je vous fasse un petit conte de Charles VII, qui fera honneur au Roi par comparaison. Le célèbre la Hire, ayant été envoyé par le comte de Dunois au roi Charles VII[2] qui étoit alors à Bourges, pour lui apprendre quelque méchant succès qui étoit arrivé, et pour savoir quel ordre Sa Majesté vouloit mettre en cette rencontre, trouva le Roi au bal, lequel, après avoir su de lui le sujet de son voyage, lui dit qu’il y songeroit, et en même temps lui demanda, avec un visage plein de joie, ce qu’il lui sembloit de cette fête, et s’il ne trouvoit pas qu’il passât bien son temps. La Hire, enragé de voir l’insensibilité et la bassesse de cœur de ce prince, ne lui répondit rien, et le Roi le pressant encore de lui dire son sentiment, la Hire lui répondit, avec un souris amer, qu’il étoit vrai qu’il se divertissoit fort bien, et qu’on ne pouvoit pas perdre un royaume plus gaiement qu’il faisoit. N’aimez-vous pas bien la Hire, Madame, et ne méprisez-vous pas bien Charles VII ? Cependant admirez la flatterie de l’histoire : ce prince est appelé le Victorieux en mille endroits. Que dira Pellisson[3], que dirai-je

  1. 5. Mehun-sur-Yèvre petite ville du Berry, entre Bourges et Vierzon.
  2. 6. « Au Roi. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) — On lit, quatre lignes plus loin, dans ce manuscrit : « qu’on y songeroit ; » neuf lignes après : et « ne méprisez-vous pas fort Charles VII ? »
  3. 7. Pellisson avait d’abord été chargé seul d’écrire l’histoire du Roi. Mme de Montespan fit ensuite confier ce travail à Boileau et à Racine ; mais Pellisson reçut en secret l’ordre de continuer ; il est même certain que le Roi lui faisait copier les mémoires que lui-même