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1677 la mort subite et terrible du pauvre abbé Bayard ; je crois rêver en l’écrivant : ce fut la première chose que je trouvai dans une lettre de d’Hacqueville qui m’attendoit ici. Il vous l’aura mandée comme à moi ; mais je veux vous en parler. Je vous écrivis de Langlar un certain dimanche[1], dans la lettre du chevalier. Tout étoit en joie et en danse chez cet abbé : les violons, les fifres, les tambours faisoient un bruit de fête de province, le plus agréable du monde, sur cette belle terrasse ; sa santé avoit été célébrée ; j’avois fait son portrait à ceux de notre troupe qui ne l’avoient jamais vu, et j’avois dit beaucoup de bien de son cœur et de son âme, parce qu’il y en avoit beaucoup à dire. Ma fille, savez-vous ce qui arrivoit pendant tout cela ? Il mouroit, il expiroit ; et le lendemain, quand je lui écrivis en partant une relation de ce qui s’étoit passé chez lui, dont il auroit été ravi, il n’étoit plus au monde, et c’étoit à un mort que j’écrivois. Je vous avoue que je fis un cri du fond de mon cœur, en apprenant cet arrangement de la Providence, et mon esprit en sera longtemps étonné. J’avois une véritable envie de le voir, et de lui conter la bonne vie que nous avions faite à Langlar, et le regret de ne l’avoir pas eu, comme la meilleure chose que nous pussions avoir ; et la première ligne que je lis, c’est sa mort ; mais quelle mort ! Il se portoit très-bien : il avoit passé la veille chez Mme de Coulanges avec M. de la Rochefoucauld ; il avoit parlé de moi, et de la joie qu’il avoit de penser que j’étois chez lui. Le dimanche, il prend un bouillon, il le vomit ; il eut soif l’après-dînée, il demande à boire ; son valet le quitte pour lui obéir, il revient, et le trouve mort sur

  1. 2. Le dimanche 26 septembre ; voyez ci-dessus, p. 338. — Nous avons vu plus haut, p. 332, une autre lettre écrite de Langlar, sous la date du 24 septembre.