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1677 temps en temps ces démons venoient autour de nous, tout fondus de sueur, avec des visages pâles, des yeux farouches, des moustaches brutes, des cheveux longs et noirs ; cette vue pourroit effrayer des gens moins polis que nous. Pour moi, je ne comprenois pas qu’on pût résister à nulle des volontés de ces Messieurs-là dans leur enfer. Enfin nous en sortîmes avec une pluie de pièces de quatre sous dont notre bonne compagnie les rafraîchit[1] pour faciliter notre sortie.

Nous avions vu la veille, à Nevers, une course la plus hardie qu’on puisse imaginer : quatre belles dans un carrosse nous ayant vus passer dans les nôtres, eurent une telle envie de nous revoir, qu’elles voulurent passer devant nous[2] lorsque nous étions sur une chaussée qui n’a jamais été faite que pour un carrosse. Ce téméraire cocher nous passa sur la moustache[3] : elles étoient à deux doigts de tomber dans la rivière ; nous criions tous miséricorde ; elles pâmoient de rire, et coururent de cette sorte, et par-dessus nous et devant nous, d’une si surprenante manière, que nous en sommes encore effrayés. Voilà, ma très-chère, nos plus grandes aventures : car de vous dire que tout est plein de vendanges et de vendangeurs, cette nouvelle ne vous étonneroit pas au mois de septembre. Si vous aviez été Noé, comme vous disiez l’autre jour, nous n’aurions pas trouvé tant d’embarras.

  1. 4. « Dont nous eûmes soin de les rafraîchir. » (Édition de 1754.)
  2. 5. « Gagner les devants. » (Ibidem.)
  3. 6. « Ma fille, leur cocher nous passa témérairement sur la moustache. » (Ibidem.) La locution « passer sur la moustache » a de l’analogie avec cette autre, plus usitée, « enlever sur la moustache, » qui signifie, comme l’explique Furetière, « obtenir de hauteur et par violence quelque chose à laquelle quelque autre prétendoit, ou dont il étoit en possession. »