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1677 de partir d’Autry, où nous allons demain dîner. Nous avons fait cette après-dînée un tour que vous auriez bien aimé : nous devions quitter notre bonne compagnie dès midi, et prendre chacun notre parti, les uns vers Paris, les autres à Autry. Cette bonne compagnie n’ayant pas été préparée assez tôt à cette triste séparation, n’a pas eu la force de la supporter, et a voulu venir à Autry avec nous : nous avons représenté les inconvénients, et puis enfin nous avons cédé. Nous avons donc passé la rivière de Loire à Châtillon[1] tous ensemble ; le temps étoit admirable, et nous étions ravis de voir qu’il falloit que le bac retournât encore pour prendre l’autre carrosse. Comme nous étions à bord, nous avons discouru du chemin d’Autry : on nous a dit qu’il y avoit deux mortelles lieues, des rochers, des bois, des précipices ; nous qui sommes accoutumés depuis Moulins à courir la bague, nous avons eu peur de cette idée, et toute la bonne compagnie, et nous conjointement, nous avons repassé la rivière, en pâmant de rire de ce petit dérangement : tous nos gens en faisoient autant, et dans cette belle humeur, nous avons repris le chemin de Gien, où nous voilà tous ; et après que la nuit nous aura donné conseil, qui sera apparemment de nous séparer courageusement, nous irons, la bonne compagnie de son côté, et nous du nôtre.

Hier au soir, à Cosne, nous allâmes dans un véritable enfer ; ce sont des forges de Vulcain[2] ; nous y trouvâmes huit ou dix cyclopes forgeant, non pas les armes d’Énée, mais des ancres pour les vaisseaux ; jamais vous n’avez vu redoubler des coups si justes, ni d’une si admirable cadence. Nous étions au milieu de quatre fourneaux ; de

  1. 2. Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Gien.
  2. 3. « On faisoit autrefois à Cosne, dit le Dictionnaire de Trévoux, du canon et d’autres grands ouvrages de fonte, ».