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1677 de mourir. Vos tonnerres sont bons à Grignan : ils ont un éclat et une majesté au-dessus de tous les autres. Lucien[1] n’auroit pas osé appeler ce foudre[2] un vain épouvantail de chènevière : c’est un Jupiter tonnant, comme du temps de Sémélé ; nous n’avons rien eu de si considérable dans ces pays-ci. Nous[3] y sentons avec incommodité une de vos prophéties, c’est-à-dire que les puces sont noires pour la plupart, et en si grande quantité qu’on ne sait où se mettre. J’étois résolue de m’en plaindre à vous : si vous trouvez quelque remède ensuite de l’almanach, vous me ferez un grand plaisir de me l’apprendre.

Vous trouverez que don Quichotte est fort bon : j’aime en plusieurs occasions le vieux langage, et si on l’avoit ôté de cinq ou six livres que je vous dirois bien, on en auroit ôté toute la grâce, et je n’en voudrois plus ; mais je n’étois point assez affectionnée[4] à celui de don Quichotte, pour n’avoir pas pris beaucoup de plaisir à la traduction[5]. S’il vous divertit, il sera trop heureux, sans préjudice pourtant de la colère d’Achille[6], où vous êtes

  1. 5. Non pas Lucien, mais Perrot d’Ablancourt dans sa très-libre traduction. Voyez le commencement de Jupiter le Tragique : « Ah ! mon foudroyant tonnerre, vain épouvantail de chènevière ; » ce qui n’est guère ni dans le sens ni dans le ton du vers ronflant que Lucien fait déclamer à Jupiter.
  2. 6. « Cette foudre. » (Édition de 1754.)
  3. 7. La fin de cet alinéa manque dans l’édition de 1754.
  4. 8. « Je ne m’étois point assez affectionnée, » (Édition de 1754.)
  5. 9. Mme de Sévigné veut parler ici de la traduction de don Quichotte par Filleau de Saint-Martin, qui parut en 1677, en 4 volumes in-12, sans nom d’auteur, et qui a été réimprimée plus de cinquante fois. L’achevé d’imprimer pour la première fois est du 20 mai 1677. La version en vieux langage est celle de Cæsar Oudin, que nous avons citée dans plusieurs notes.
  6. 10. « Si cette lecture vous divertit, je vous exhorte à la continuer, sans préjudice de la colère d’Achille. » (Édition de 1754.) — Mme de Grignan lisoit en ce temps-là l’Iliade d’Homère. (Note de Perrin.)