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1677 Je sens la joie du bel abbé de se voir dans le château de ses pères, qui ne fait que devenir tous les jours plus beau et plus ajusté. M. de la Garde, dont je parle volontiers, parce que je l’aime, est cause encore de ces copies, dont je suis au vrai désespoir[1]. Je vous assure que sans lui j’eusse continué ma brutalité ; j’avois résisté à la faveur[2], j’ai succombé à l’amitié : si j’avois vingt ans, je ne lui découvrirois pas ces foiblesses. Je me suis donc trouvée pressée[3], tout le monde criant contre moi : « Elle est folle, elle est jalouse. M. de Saint-Géran n’aime-t-il point sa femme ? Il a permis qu’on prît des copies de son portrait. Eh bien, on en aura un original ; il ne me sera pas refusé. Cela est plaisant qu’elle croie qu’il n’y a qu’elle qui doive avoir le portrait de sa fille. Je l’aurai plus beau que le sien. » Je ne me serois guère souciée de toute cette clameur, si M. de la Garde ne s’en étoit point mêlé. Mais voilà la première pinte ; il n’y a que celle-là de chère[4]. « C’est donc de l’aversion qu’on a pour les autres. » Oh bien ! faites donc, que le diantre vous emporte ! le voilà, faites-en tout ce que vous voudrez. Vous ririez bien, si vous saviez tout le chagrin que cela me donne, et combien j’en ai sué. Vous qui n’aimez pas les portraits, j’ai compris que vous seriez la première à me ridiculiser. Ce qui est plaisant, c’est que cet original ne me paroît plus entier ni précieux : cela me blesse le cœur. Allons, allons, il faut être mortifiée sur toutes choses :

  1. 16. « Dont je suis vraiment au désespoir. » (Édition de 1754.)
  2. 17. Voyez la lettre du 9 septembre 1675, tome IV, p. 123 et 124.
  3. 18. Dans l’édition de 1754 : « Je me suis donc trouvée en presse. » L’édition de 1734 a trouvé, sans accord. Voyez ci-dessus, p.255, note 12.
  4. 19. La locution proverbiale : « Il n’y a que la première pinte chère, » signifie proprement « que rien ne coûte quand on est échauffé de la débauche. » Voyez le Dictionnaire de Furetière.