1677
628. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
Le Baron est ici, qui ne me laisse pas[1] mettre le pied à terre, tant il me mène rapidement dans les lectures que nous entreprenons : ce n’est toutefois qu’après avoir fait honneur à la conversation. Don Quichotte, Lucien, les Petites Lettres[2] voilà ce qui nous occupe. Je voudrois de tout mon cœur, ma fille, que vous eussiez vu de quel air et de quel ton il s’acquitte de cette dernière lecture ; elles ont pris un tour particulier quand elles ont passé par ses mains : c’est une chose entièrement divine, et pour le sérieux, et pour la parfaite raillerie. Elles me sont toujours nouvelles, et je crois que cette sorte de divertissement vous amuserait[3] bien autant que l'indéfectibilité[4] de la matière. Je travaille pendant que l’on lit ; et la promenade est si fort à la main, comme vous savez, que l’on est dix fois dans le jardin, et dix fois l’on en revient. Je crois faire un voyage d’un instant à Paris ; nous ramè-
- ↑ Lettre 628. — 1. « Et ne me laisse pas. » (Édition de 1754.)
- ↑ 2. Les Provinciales.
- ↑ 3. « Elles ont un prix tout particulier quand elles passent par ses mains ; c’est une chose divine, et pour le sérieux et pour le plaisant. Je les trouve toujours nouvelles, et je crois que cette sorte d’amusement vous divertiroit, etc. » (Édition de 1754.)
- ↑ 4. l’indéfectibilité, terme didactique : qualité de ce qui ne peut manquer ou cesser d’être. Le Dictionnaire de Trévoux explique le mot, s’appliquant au feu par exemple, par cette phrase empruntée à Pluche : « Nous pouvons bien ramasser les particules du feu ou les dissiper, mais non pas les produire ou les détruire : son indéfectibilité est certaine. » — Dom Robert Desgabets avait composé un traité de l’Indéfectibilité des substances, que réfuta le cardinal de Retz. Voyez les Fragments de philosophie cartésienne par M. Cousin, p. 192 et suivantes.
