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623. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 9e juillet.

Vous ne direz pas aujourd’hui que je vous donne un mauvais exemple, et que vous voulez vous tuer de la même épée. Je vous ai écrit de grandes chiennes de lettres, qui sont petites pourtant ; j’espère que celle-ci sera une petite qui sera grande. Je sens mon caractère qui se dispose à ne vous point effrayer ; de plus, ma chère enfant, je n’ai pas encore reçu vos lettres ; je les attends ce soir ou demain, à quoi il faut ajouter la disette de nouvelles. M. de la Garde vous dira ce qu’il sait.

Je parle souvent d’un précepteur pour le petit marquis : on me répond que c’est la chose impossible de trouver un sujet qui ait toutes les perfections nécessaires.

Je suis plus que jamais épouvantée de ce qui s’appelle dessèchement : la pauvre Mme de la Fayette en est tellement menacée qu’elle tourne toutes ses pensées à finir comme ma pauvre tante ; elle est considérablement diminuée depuis que vous êtes partie ; elle ne s’est point remise de cette colique ; elle en est encore aux bouillons, et après ces grands repas, elle est émue, et sa petite fièvre augmente, comme si elle avoit fait une débauche. Ses médecins disent qu’il est temps de s’inquiéter, et que si elle alloit plus avant dans ce chemin, elle pourroit être du nombre de ceux qui traînent leur misérable vie jusqu’à la dernière goutte d’huile. Cela m’attriste, et pour elle que j’aime fort, et pour ceux qui ont le sang si extrêmement subtil : il me semble qu’il ne faut rien pour embraser toute la machine. Ma fille, quand on aime bien, il n’est pas ridicule de souhaiter qu’un sang auquel on prend tant d’intérêt se tranquillise et se rafraîchisse ; vous ne devriez penser, ce me semble, qu’à épaissir le