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1677

622. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Livry, samedi 3e juillet.

Hélas ! ma chère, que je suis fâchée de votre pauvre petit enfant[1] ! il est impossible que cela ne touche. Ce n’est pas, comme vous savez, que j’aie compté sur sa vie. Je le trouvois, de la manière dont on me l’avoit dépeint[2], sans aucune espérance ; mais enfin c’est une perte pour vous : en voilà trois. Dieu vous conserve le seul qui vous reste[3] ! il me paroît déjà un fort honnête homme ; j’aimerois mieux son bon sens et sa droite raison que toute la vivacité de ceux qu’on admire à cet âge, et qui sont des sots à vingt ans. Soyez contente du vôtre[4], ma fille, et menez-le doucement, comme un cheval qui a la bouche délicate, et souvenez-vous de ce que je vous ai dit sur sa timidité : ce conseil vient de gens plus habiles que moi ; mais l’on sent qu’il est fort bon. Pour Pauline, j’ai une petite chose à vous dire : c’est que de la façon dont vous me la représentez, elle pourroit[5]fort bien être aussi belle que vous : voilà justement comme vous étiez ; Dieu vous préserve d’une pareille ressemblance, et d’un cœur fait comme le mien. Enfin je vois que vous l’aimez, qu’elle est aimable, et qu’elle vous divertit. Je voudrois bien la pouvoir embrasser, et reconnoître ce chien de visage que j’ai vu quelque part.

Je suis ici depuis hier matin. J’avois dessein d’attendre

  1. Lettre 622.— 1. C’est l’enfant qui étoit né en février 1676, à huit mois. (Note de Perrin, 1754.)
  2. 2. « Sur la peinture qu’on m’en avoit faite. » (Édition de 1754.)
  3. 3. « Le seul que vous avez. » (Ibidem.)
  4. 4. Cette phrase n’est pas dans le texte de 1734.
  5. 5. « C’est que vous me la représentez d’une façon qu’elle pourroit, etc. » (Édition de 1754.)