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1677 nous, il faut ne plus voir les choses que comme elles sont, ne les point grossir dans votre imagination, ne point trouver que je suis malade quand je me porte bien : si vous ne prenez cette résolution, on vous fera un régime et une nécessité de ne me jamais voir ; je ne sais si ce remède seroit bon pour vous ; quant à moi, je vous assure qu’il seroit indubitable pour finir ma vie. Faites sur cela vos réflexions ; quand j’ai été en peine de vous, je n’en avois que trop de sujet ; plùt à Dieu que ce n’eût été qu’une vision ! le trouble de tous vos amis et le changement de votre visage ne confirmoient que trop mes craintes et mes frayeurs. Travaillez donc, ma chère enfant, à tout ce qui peut rendre votre retour aussi agréable que votre départ a été triste et douloureux. Pour moi, que faut-il que je fasse ? Dois-je me bien porter ? je me porte très-bien ; dois-je songer à ma santé ? j’y pense pour l’amour de vous ; dois-je enfin ne me point inquiéter sur votre sujet ? c’est de quoi je ne vous réponds pas, quand vous serez dans l’état où je vous ai vue. Je vous parle sincèrement : travaillez là-dessus et quand on me vient dire présentement : « Vous voyez comme elle se porte ; et vous-même, vous êtes en repos : vous voilà fort bien toutes deux. » Oui, fort bien, voilà un régime admirable : tellement que pour nous bien porter, il faut que nous soyons à deux cent mille lieues l’une de l’autre ; et l’on me dit cela avec un air tranquille : voilà justement ce qui m’échauffe le sang, et me fait sauter aux nues. Au nom de Dieu, ma fille, rétablissons notre réputation par un autre voyage, où nous soyons plus raisonnables, c’est-à-dire vous, et où l’on ne nous dise plus : « Vous vous tuez l’une l’autre. » Je suis si rebattue de ces discours que je n’en puis plus : il y a d’autres manières de me tuer qui seroient bien plus sûres.

Je vous envoie ce que m’écrit Corbinelli de la vie de