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1677 pensée, et j’en ai été si frappée que je n’ai pas démêlé la part qu’a eue votre absence dans ce que j’ai senti. Vous ne sauriez être trop persuadée[1] de la sensible joie que j’ai de vous voir, et de l’ennui que je trouve à passer ma vie sans vous : cependant je ne suis point encore entrée dans ces réflexions, et je n’ai fait que penser à votre état, à transir pour l’avenir, à craindre qu’il ne devienne pis : voilà ce qui m’a possédée ; quand je serai en repos là-dessus, je crois que je n’aurai pas le temps de penser à toutes ces autres choses, et que vous songerez à votre retour. Mais, ma chère enfant, il faut que les réflexions que vous ferez entre ci et là vous ôtent un peu des craintes inutiles que vous avez pour ma santé : je me sens coupable d’une partie de vos dragons ; quel dommage que vous prodiguiez vos inquiétudes pour une santé toute rétablie, et qui n’a plus à craindre que le mal que vous faites à la vôtre ! Je suis assurée que deux ou trois mois vous ont quelquefois défiguré vos dragons d’une telle sorte, que vous ne les avez pas reconnus. Songez, ma fille, qu’ils sont toujours comme dans ce temps-là, et que c’est votre seule imagination qui leur donne un prix qui n’est pas. Vous qui avez tant de raison et de courage,

  1. 4. Tout ce passage est ainsi modifié et singulièrement abrégé dans l’édition de 1754 : « Je ne suis pas entrée jusqu’ici dans les réflexions qui naissent de la joie que j’ai de vous voir, et de l’ennui que je trouve à passer ma vie sans vous ; je n’ai fait encore que penser à votre santé, que transir pour l’avenir, et quand je serai en repos là-dessus, j’espère que vous songerez à votre retour. Mais quel dommage que vous prodiguiez vos inquiétudes pour ma santé qui est toute rétablie, et qui ne se pourroit détruire que par le mal que vous faites à la vôtre ! Employez donc votre raison à ne vous pas laisser dévorer par des choses dont les moindres personnes ne sont pas ébranlées, et servez-vous de votre courage pour n’être pas la dupe des vains fantômes d’une imagination qui se frappe trop aisément. Je vous tiens à mon avantage, etc. »