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1676transportée de reconnoissance. Quand M. de Grignan trouvera l’occasion d’écrire ou de parler pour lui, j’en serai ravie. Il s’ennuie fort d’être subalterne ; j’ai ouï dire qu’il étoit brave garçon, et qu’il méritoit bien un vaisseau : si c’est l’avis de M. de Grignan, vous devez l’en faire souvenir.

Au reste, M. de Coulanges s’en va bientôt à Lyon ; il compte revenir avant la Toussaint, justement dans le temps que vous viendrez. Je vous conseille de prendre des mesures avec lui il conduira gaiement votre barque, et vous serez trop aise de l’avoir.

Je trouve que le pichon est fort joli vous lui faites un bien extrême de vous amuser à sa petite raison naissante ; cette application à le cultiver lui vaudra beaucoup. Je vous prie de lui pardonner tout ce qu’il avouera naïvement, mais jamais une menterie. C’est une chose agréable que la mémoire. Vous me faites quelquefois trembler sur sa taille, et puis je trouve que ce n’est plus rien. En lisant l’Histoire des Vizirs[1], je vous prie de ne pas

  1. 13. Voyez plus haut, tome IV, p. 449, note 10. — Mme de Grignan était peu avancée dans sa lecture. Le récit affreux dont parle Mme de Sévigné à la ligne suivante se trouve au livre Ier. Mahomet Coprogli, s’étant emparé des richesses des bassas (pachas) coupables de concussion, qu’il avait fait mourir, « fit dresser deux tables dans la salle par où passoit le Sultan pour aller au Divan. Sur l’une il fit arranger vingt des principales têtes qu’il avoit fait trancher, et qu’il couvrit d’une grande toilette de deuil ; et sur l’autre il plaça en même ordre quantité de riches bourses, pleines de pièces d’or et de pierreries, qu’une autre toilette en broderie d’or et de perles couvroit aussi. Il attendit l’heure que le Sultan et la grande Sultane devoient venir au Divan, pour leur faire voir cet étrange spectacle. La grande Sultane voulut savoir d’abord à quel dessein on avoit fait ces préparatifs, et ce qui étoit caché sous ces toilettes. Alors le jeune prince, son fils, sans attendre la réponse, en leva une, et demeura tout effrayé. Il demanda ce que faisoient là ces têtes, « Seigneur, répliqua Mahomet Coprogli en lui adressant la parole, elles vomis-