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433. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
À Livry, mercredi 21e août.

En vérité, ma bonne, vous devriez bien être ici avec moi ; j’y suis venue ce matin toute seule, fatiguée et lasse de Paris, jusqu’au point de n’y pouvoir durer. Notre abbé est demeuré pour quelques affaires ; pour moi, qui n’en ai point jusqu’à samedi, me voilà. Je prendrai demain ma troisième petite médecine en paix et en repos ; je marcherai beaucoup : je m’imagine que j’en ai besoin. Je penserai extrêmement à vous, pour ne pas dire continuellement : il n’y a ni lieu ni place qui ne me fasse souvenir que nous y étions ensemble il y a un an. Quelle différence ! Il m’est doux de penser à vous ; mais l’absence jette une certaine amertume qui serre le cœur : ce sera pour ce soir la noirceur des pensées. Je me fais un plaisir de vous entretenir dans ce petit cabinet que vous connoissez ; rien ne m’interrompt.

J’ai laissé M. de Coulanges bien en peine de M. de Sanzei[1]. Pour M. de la Trousse, depuis mes chers romans, je n’ai rien vu de si parfaitement heureux que lui. N’avez-vous point vu un prince qui se bat jusqu’à l’extrémité ? un autre s’avance pour voir qui peut faire une si grande résistance : il voit l’inégalité du combat ; il en est honteux ; il écarte ses gens ; il demande pardon à ce vaillant homme, qui lui rend son épée, à cause de son honnêteté, car sans lui il ne l’eût jamais rendue ; il le fait son prisonnier ; il le reconnoît pour un de ses amis, du temps qu’ils étoient

  1. LETTRE 433 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie). — M. de Coulanges étoit beau-frère de M. de Sanzei, et cousin germain de M. de la Trousse. (Note de Perrin.) — Dans l’édition de la Haye, les derniers mots de la phrase (M. de Sanzei) se sont changés en votre santé.