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1676huit. Mes sueurs sont si extrêmes, que je perce jusqu’à mes matelas ; je pense que c’est toute l’eau que j’ai bue depuis que je suis au monde. Quand on entre dans ce lit, il est vrai qu’on n’en peut plus : la tête et tout le corps sont en mouvement, tous les esprits en campagne, des battements partout. Je suis une heure sans ouvrir la bouche, pendant laquelle la sueur commence, et continue pendant deux heures ; et de peur de m’impatienter, je fais lire mon médecin, qui me plaît ; il vous plairoit aussi. Je lui mets dans la tête d’apprendre la philosophie de votre père Descartes ; je ramasse des mots que je vous ai ouï dire. Il sait vivre ; il n’est point charlatan ; il traite la médecine en galant homme ; enfin il m’amuse. Je vais être seule, et j’en suis fort aise : pourvu qu’on ne m’ôte pas le pays charmant, la rivière d’Allier, mille petits bois, des ruisseaux, des prairies, des moutons, des chèvres, des paysannes qui dansent la bourrée dans les champs, je consens de dire[1] adieu à tout le reste ; le pays seul me guériroit. Les sueurs, qui affoiblissent tout le monde, me donnent de la force, et me font voir que ma foiblesse venoit des superfluités que j’avois encore dans le corps. Mes genoux se portent bien mieux ; mes mains-ne veulent pas encore, mais elles le voudront avec le temps. Je boirai encore huit jours, du jour de la Fête-Dieu[2], et puis je penserai avec douleur à m’éloigner de vous. Il est vrai que ce m’eût été une joie bien sensible de vous avoir ici. uniquement à moi ; mais vous y avez mis une clause de retourner chacun chez soi, qui m’a fait transir : n’en parlons plus, ma chère fille, voilà qui est fait. Songez à faire vos efforts pour me venir

  1. Je consens de dire est la leçon des deux éditions de Perrin, les seules qui donnent cette lettre.
  2. Elle tombait, en 1676, au 4 juin.