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1675 Pour les souhaits que vous lui faites, elle en a toute la reconnoissance qu’elle en doit avoir ; mais quand vous ne l’aimeriez pas, elle est comme moi sur votre chapitre, elle ne laisseroit pas de vous trouver la plus aimable femme de France.

Rien n’est mieux dit, plus agréablement[1], ni plus juste, que ce que vous dites de la Providence sur la mort de M. de Turenne : que vous voyez[2] ce canon chargé de toute éternité. Il est vrai que c’est un coup du ciel. Dieu, qui laisse agir ordinairement les causes secondes, veut quelquefois agir lui seul. Il l’a fait, ce me semble, en cette occasion[3] : c’est lui qui a pointé cette pièce. Ne vous souvenez-vous pas, Madame, de la physionomie funeste de ce grand homme ? Du temps que je ne l’aimois pas, je disois que c’étoit une physionomie patibulaire[4] ; si j’y avois songé depuis ma réconciliation avec lui, j’aurois appréhendé ce coup de canon.

Tout ce que vous me mandez sur son bonheur de n’avoir pas survécu à sa réputation, comme cela se pouvoit, de même que le comte d’Harcourt et le maréchal

  1. 4. « Plus plaisamment. » (Manuscrit de l’Institut.)
  2. 5. « Que vous croyez. » (Ibidem.)
  3. 6. « Il l’a fait en cette occasion. » (Ibidem.)
  4. 7. Cette expression est étrange, mais Bussy dit lui-même qu’elle lui était dictée par la passion. Au reste, d’autres contemporains peignent Turenne sous des traits à peu près semblables. Langlade a joint aux Mémoires du duc de Bouillon quelques particularités de la vie et des mœurs de Turenne. « Il avoit, dit-il, les yeux grands et pleins de feu, mais couverts de gros sourcils joints ensemble. La forme de son visage étoit assez régulière ; cependant, avec un air riant, il avoit quelque chose de sombre, et ce mélange formoit une physionomie assez extraordinaire et très-difficile à dépeindre. » Voyez les Mémoires du duc de Bouillon, Paris, 1692, p. 204. Les portraits gravés du maréchal de Turenne ont conservé cette expression sombre et presque malheureuse. (Note de l’édition de 1818.)