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1676
532. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
À Paris, mercredi 6e mai.

J’ai le cœur serré de ma petite-fille[1] : elle sera au désespoir de vous avoir quittée, et d’être, comme vous dites, en prison. J’admire comme j’eus le courage de vous y mettre[2] ; la pensée de vous voir souvent et de vous en retirer me fit résoudre à cette barbarie, qui étoit trouvée alors une bonne conduite, et une chose nécessaire à votre éducation. Enfin il faut suivre les règles de la Providence, qui nous destine comme il lui plaît.

Mme du Gué la religieuse[3] s’en va à Chelles ; elle y porte une grosse pension pour avoir toutes sortes de commodités : elle changera souvent de condition, à moins qu’un jeune garçon, qui est leur médecin[4], et que je vis hier à Livry, ne l’oblige à s’y tenir. Ma chère, c’est un homme de vingt-huit ans, dont le visage est le plus beau et le plus charmant que j’aie jamais vu : il a les yeux comme Mme de Mazarin et les dents parfaites ; le reste du visage comme on imagine Rinaldo[5]  ; de grandes boucles noires qui lui font la plus agréable tête que vous ayez jamais vue[6]. Il est Italien, et parle italien, comme

  1. LETTRE 532 (revue en partie sur une ancienne copie). — Elle venoit d’être mise aux dames de Sainte-Marie d’Aix. (Note de Perrin.)
  2. Voyez la Notice, p. 89 et suivante.
  3. Parente du père de Mme de Coulanges.
  4. C’est la leçon de 1734 ; dans la seconde édition de Perrin (1754), on lit : « qui est le médecin de l’abbaye. » — Ce jeune garçon est Amonio, neveu du maître de chambre du pape Innocent XI. Voyez les lettres du 28 mai, des 26 et 28 août, des 2, 8, 16 et 30 septembre, du 14 octobre 1676 et du 14 juillet 1677.
  5. Renaud. Voyez le portrait que fait de lui le Tasse dans la stance lviii du Ier chant de la Jérusalem délivrée.
  6. « La plus agréable tête du monde. » (Édition de 1754.)