Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 23 —


———
1675
une véritable aversion depuis près de deux ans : c’est une aigreur, c’est une antipathie, c’est du blanc, c’est du noir ; vous demandez d’où vient cela ? C’est que l’amie est d’un orgueil[1] qui la rend révoltée contre les ordres de l’autre. Elle n’aime pas à obéir ; elle veut bien être au père, mais non pas à la mère ; elle fait le voyage à cause de lui, et point du tout pour l’amour d’elle ; elle lui rend compte, et point à elle. On gronde l’ami d’avoir trop d’amitié pour cette glorieuse ; mais on ne croit pas que cela dure, à moins que l’aversion ne se change, ou que le bon succès d’un voyage ne fît changer ces cœurs. Ce secret roule sous terre depuis plus de six mois ; il se répand un peu ; je crois que vous en serez surprise. Les amis de l’amie en sont assez affligés, et l’on croit qu’il y en a deux qui ont senti cet hiver le contre-coup de cette mésintelligence. N’admirez-vous point comme on raisonne quelquefois, et que l’on ne comprend pas les choses ? C’est quand je dis qu’il y a un fil de manqué ; et l’on voit clair quand on voit le dessous des cartes[2] : c’est la plus jolie chose du monde. Il y a une grande femme qui pourroit bien vous en mander si elle vouloit, et vous dire à quel point la perte du héros a été promptement oubliée dans cette maison[3] : ç’a été une chose scandaleuse. Savez-vous bien qu’il nous faudroit ici quelque manière de chiffre ?

  1. « D’une hauteur. » (Édition de Rouen, 1726.)
  2. « C’est dans ces occasions que je dis qu’il y a un fil manqué. On ne sait où l’on en est, et l’on ne voit clair que quand on vous montre le dessous des cartes. » (Ibidem.)
  3. La grande femme est Mme d’Heudicourt, dont Mme de Sévigné a parlé un peu plus haut. Le héros sitôt oublié dans cette maison (à la cour) est Turenne, haï de Louvois, et peu aimé du Roi. — Voyez, sur tout ce passage, l’avant-dernier alinéa de la lettre du 21 août suivant, p. 77 et 78.