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ne peut jamais sortir de ma mémoire ; mais comme je ne puis ramener cet endroit sans commencer par vous voir entrer dans ma chambre, et que je n’ai plus cette joie ni cette espérance prochaine, il m’en coûte toujours des larmes ; et quand je médite sur toute cette soirée, le souvenir m’en est d’une amertume que je ne puis encore soutenir. Tout ce que nous fîmes les derniers jours, tous les lieux où nous fûmes, toute la douleur dont j’étois pénétrée, avec une bonne contenance de peur d’attirer vos sermons, tout cela m’arrache encore le cœur. Je repasse tous les temps : nous étions comme à cette heure à Livry, et ainsi de toutes les saisons. L’amitié que j’ai pour vous porte bien des peines et des amertumes avec elle : une absence continuelle avec la tendresse que j’ai pour vous, ne composent pas une paix bien profonde à un cœur aussi dénué de philosophie que le mien ; il faut passer sur ces endroits sans y séjourner. Vous me voyez, ma bonne, et je vois que vous vous moquez de moi.

Je vous ai mandé que je ne pars pas encore. Vous croyez bien que je vous manderai l’adresse de mon nouvel ami de la poste ; il sera plus fidèle que Dubois, et nous aurons deux fois la semaine de nos nouvelles ; mais croyez bien que je n’oublierai pas l’article : mon intérêt y est encore plus que le vôtre[1] : c’est ma vie partout ; mais aux Rochers, ce seroit mourir que de n’avoir pas cette consolation. Je porterai des livres et de l’ouvrage : ces amusements vont bien loin après les soins de notre commerce. Vos lettres sont[2] étranges sur les nouvelles

  1. Nous avons suivi pour cette phrase le texte de l’édition de la Haye (1726), avec ses irrégularités et ses répétitions. Les autres éditions ont, ce semble, plus ou moins de marques de retouche et de correction.
  2. Sont est la leçon de la Haye ; Perrin y a substitué seront. Si l’édition de la Haye a bien reproduit l’original, il y a une forte ellipse, mais assez naturelle dans le style épistolaire : « Vos lettres sont étranges…. et le seront jusqu’à ce que vous ayez su…. »