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menter : il jouissoit même en ce moment du plaisir de voir retirer les ennemis, et voyoit le fruit de sa conduite depuis trois mois. Quelquefois, à force de vivre, l’étoile pâlit. Il est plus sûr de couper dans le vif, principalement pour les héros, dont toutes les actions sont si observées. Si le comte d’Harcourt[1] fût mort après la prise des îles Sainte-Marguerite, ou le secours de Casal, et le maréchal du Plessis Praslin après la bataille de Rethel, n’auroient-ils pas été plus glorieux[2] ? M. de Turenne n’a point senti la mort : comptez-vous encore cela pour rien ?

Vous savez la douleur générale pour cette perte, et les huit maréchaux de France nouveaux. Le comte de

  1. Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, frère cadet du duc d’Elbeuf, était l’un des plus grands généraux de Louis XIII. En 1637 il reprit sur les Espagnols les îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, et en avril 1640 il fit lever le siège de Casal, et s’empara de Turin. Après la mort du Roi, il s’attacha au parti du cardinal Mazarin, et il accepta le commandement de l’escorte qui conduisit les princes à la citadelle du Havre. Le public ne le lui pardonna jamais, et toute la gloire que le Comte s’était acquise ne put le sauver du ridicule. On fit des caricatures où il était représenté armé de toutes pièces comme un ancien paladin, conduisant Condé prisonnier ; le prince, chemin faisant, fit ce couplet qu’il fredonnait dans son carrosse, assez haut pour être entendu du Comte
    Cet homme gros et court,
    Si connu dans l’histoire,
    Ce grand comte d’Harcourt
    Tout couronné de gloire,
    Qui secourut Casal, et qui reprit Turin,
    Est maintenant recors de Jules Mazarin.
    (Note de 1818.)
  2. « Et le maréchal du Plessis après, etc., n’auroient-ils pas été plus glorieux qu’ils n’ont été à leur mort ? M. de Turenne n’a point senti la sienne : ne comptez-vous, etc. » (Manuscrit de l’Institut.) Le maréchal du Plessis Praslin se porta en 1650 au-devant de Turenne qui marchait sur Vincennes pour délivrer les princes, l’atteignit auprès de Rethel, et le battit, quoique son armée fût moins nombreuse.