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Thoury[1]. Nous avons trouvé ce matin deux grands vilains pendus à des arbres sur le grand chemin ; nous n’avons pas compris pourquoi des pendus ; car le bel air des grands chemins il me semble que ce sont des roués : nous avons été occupés à deviner cette nouveauté ; ils faisoient une fort vilaine mine, et j’ai juré que je vous le manderois. À peine sommes-nous descendus ici, que voilà vingt bateliers autour de nous, chacun faisant valoir la qualité des personnes qu’il a menées, et la bonté de son bateau ; jamais les couteaux de Nogent[2] ni les chapelets de Chartres n’ont fait plus de bruit. Nous avons été longtemps à choisir : l’un nous paroissoit trop jeune, l’autre trop vieux ; l’un avoit trop d’envie de nous avoir, cela nous paroissoit d’un gueux, dont le bateau étoit pourri ; l’autre étoit glorieux d’avoir mené M. de Chaulnes ; enfin la prédestination a paru visible sur un grand garçon fort bien fait, dont la moustache et le procédé nous ont décidés. Adieu donc, mon vrai cousin, nous allons voguer sur la belle Loire : elle est un peu sujette à se déborder, mais elle en est plus douce.

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445. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
À Tours, samedi 14e septembre.

J’ai reçu votre lettre, ma bonne, à Orléans, un moment devant que de monter en bateau : ce me fut une

  1. LETTRE 444. — Thoury est un bourg du département d’Eure-et-Loir, sur la route d’Orléans, à vingt et une lieues de Paris.
  2. Nogent-le-Roi, ville du département de la Haute-Marne, fabrique de couteaux. Pour les chapelets de Chartres, voyez la note 2 de la lettre suivante, p. 136.