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trouvai la plus jolie jupe du monde, à la mode, avec un petit joli manteau ; tout l’univers ne m’empêcheroit pas de vous faire ce petit présent ; et si vous ne voulez point me déplaire au dernier excès, vous me direz que vous en êtes fort aise, et que je suis une bonne femme : voilà le ton qui m’est uniquement agréable.

Je suis très-ennuyée de n’avoir point de lettres de mon fils ; il y a un tel dérangement au commerce de l’armée, qu’on n’en reçoit quasi que par des courriers extraordinaires. Je ne sais nulle nouvelle aujourd’hui ; je hais tant de dire des faussetés, que j’aime mieux ne vous rien dire. Ce que je vous mande est toujours vrai, et vient de bon lieu. Je m’en vais présentement à Livry ; j’y mène ma petite-enfant, et sa nourrice, et tout le petit ménage. Je veux qu’ils respirent cet air de printemps. Je reviens demain, ne pouvant quitter ma tante plus longtemps ; et pour la petite, je l’y laisserai pour quatre ou cinq jours ; je ne puis m’en passer ici : elle me réjouit tous les matins. Il y a si longtemps que je n’ai respiré et marché, qu’il faut que j’aie pitié de moi un moment aussi bien que des autres. Je me prépare tous les jours ; mes habits se font ; mon carrosse est prêt il y a huit jours ; enfin, ma bonne, j’ai un pied en l’air ; et si Dieu nous conserve notre pauvre tante plus longtemps qu’on ne croit, je ferai ce que vous m’avez conseillé, c’est-à-dire, je partirai dans l’espérance de la revoir. La Troche et la d’Escars m’ont aidé à tout choisir, et Gautier sur le tout, qui étoit en ses bonnes humeurs. Faites-lui écrire quelque honnêteté ; il ne faut pas joindre le silence avec le long retardement. Si nous pouvons lui donner quelque chose sur votre pension, nous le ferons ; mais vous devez beaucoup, sans rien compter, parce que je compte moi-même ; c’est pour vous dire que nous aurons peine d’aller jusqu’à lui. Nous verrons ; ne vous mettez en peine de rien.