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dans une litière vis-à-vis de lui : le pauvre homme ! Il avoit raison de monter à cheval pour l’éviter : le moyen de le regarder si longtemps ? Hélas ! il me souvient qu’une fois, en revenant de Bretagne, vous étiez vis-à-vis de moi. Quel plaisir ne sentois-je point de voir toujours cet aimable visage ? Il est vrai que c’étoit dans un carrosse : il faut donc qu’il y ait quelque malédiction sur la litière[1].

Mme du Puy-du-Fou ne veut pas que je mène la petite enfant. Elle dit que c’est la hasarder, et là-dessus je rends les armes : je ne voudrois pas mettre en péril sa petite personne ; je l’aime tout à fait. Je lui ai fait couper les cheveux ; elle est coiffée hurlubrelu[2] : cette coiffure est faite pour elle. Son teint, sa gorge, tout son petit corps est admirable ; elle fait cent petites choses, elle parle, elle caresse, elle bat, elle fait le signe de la croix, elle demande pardon, elle fait la révérence, elle baise la main, elle hausse les épaules, elle danse, elle flatte, elle prend le menton[3] : enfin elle est jolie de tout point. Je m’y amuse les heures entières. Je ne veux point que cela meure. Je vous le disois l’autre jour, je ne sais point comme l’on fait pour ne pas aimer sa fille.


  1. 5. Perrin a cru devoir faire à ce propos la remarque que voici : « On assure que deux personnes qui, en s’aimant beaucoup, entreprendroient un voyage un peu long dans la même litière, finiroient par se haïr le plus franchement du monde. » Voyageant de cette manière avec la comtesse de Maure, Mme Cornuel disoit qu’elle étoit si lasse d’avoir toujours la même figure devant les yeux, qu’elle eut deux ou trois fois l’envie de l’étrangler. (Tallemant des Réaux, tome III, p. 161.)
  2. 6. Voyez tome II, p. 136, et 143 et suivantes.
  3. 7. Dans l’édition de 1734 : « Elle lève le menton. »