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1675

398. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN ET DE MADEMOISELLE DE BUSSY À MADAME DE SÉVIGNÉ, À CORBINELLI ET À MADAME DE GRIGNAN.

Le même jour[1] que j’eus reçu ces lettres, j’y fis ces réponses, et premièrement à Mme de Sévigné.
À Chaseu, le 10e mai 1675.
de bussy à madame de sévigné.

Ce n’est pas l’esprit que vous avez perdu, Madame, c’est la mémoire ; car vous m’avez déjà écrit sur le mariage de ma fille, mais je suis fort aise que vous l’ayez oublié ; cela m’a encore attiré une de vos lettres.

Je ne doute pas que vous ne souffriez étrangement, étant sur le point de vous séparer des personnes que vous aimez le plus, et que vous devez le plus aimer. On vivroit bien plus heureusement si l’on pouvoit faire ce que dit l’opéra :

N’aimons jamais, ou n’aimons guère :
Il est dangereux d’aimer tant[2].

Pour moi j’aime encore mieux le mal que le remède, et je trouve plus doux d’avoir bien de la peine à quitter les gens que j’aime, que de les aimer médiocrement. L’indolence continuelle ne m’accommode pas ; je veux des hauts et bas dans la vie[3]. Vous voyez, Madame, que la

  1. Lettre 398. — 1. Au lieu des mots : « le même jour, » on lit dans le manuscrit de l’Institut : « le lendemain. » Ce manuscrit date la lettre du 16. Voyez la note 1 de la lettre précédente, p. 447.
  2. 2. Ces deux vers sont tirés de la scène v du IIe acte de Thésée, opéra de Quinault et de Lulli, représenté devant le Roi le 11 janvier 1675.
  3. 3. « Je veux un peu de haut et bas dans la vie. » (Manuscrit de l’Institut.)